La flore intestinale est l’ancienne dénomination poétique d’une réalité appelée aujourd’hui le microbiote intestinal.
Le microbiote intestinal est un ensemble important de bactéries (cent mille milliards) réparties le long du tractus intestinal et dont la composition globale est variable selon la localisation, les individus, l’âge, les périodes de la vie d’un même individu.
Suite à la mise au point du séquençage de l’ADN à haut débit (pyroséquençage) il a été possible de séquencer et identifier tous les gènes des bactéries présentes dans l’écosystème digestif humain(métagénome) grâce aux travaux menés en Europe (Meta-Hit)(1) et aux États-Unis (Human Microbiome Project)(2).
Quelques chiffres sur ce microbiote, d’après des résultats européens, donnent rapidement le tournis :
- cent mille milliards de bactéries (soit cent fois plus que le nombre de cellules qui constituent le corps humain) réparties en plus de 3000 espèces représentant 3,3 millions de gènes bactériens identifiés pour une cohorte de 124 individus.
- et le métagénome, qui représente 150 fois le génome humain.
Les rôles joués par cette flore endogène sont très nombreux et certains sont maintenant bien connus(3) :
- Effet de barrière
La flore intestinale protège le tube digestif et l’organisme de l’implantation et de la multiplication de germes pathogènes ou opportunistes grâce à un “effet barrière” qui s’exerce entre autre par un processus de compétition au niveau de récepteurs d’adhérence à la muqueuse intestinale et par la production de substances antimicrobiennes, les bactériocines . - Effet sur le système immunitaire
La flore intestinale module la réponse des IgA sécrétoires vis-à-vis des pathogènes. En effet, cette flore est capable d’augmenter localement le nombre de lymphocytes B sécrétant ces IgA sécrétoires. Elle développe également les mécanismes de la tolérance immune vis-à-vis des protéines alimentaires et des bactéries intestinales. Au niveau périphérique, elle stimule la phagocytose protectrice contre l’infection et la synthèse des cytokines nécessaires à la réponse immune. - Effet de production d’éléments essentielsLa flore intestinale participe à la synthèse de vitamines (B2, B5, B9, B12, K). Elle assure également la production d’enzymes digestives et protectrices.
- Effet de détoxicationLa flore intestinale est impliquée dans la transformation métabolique de substances potentiellement cancérigènes. Elle module également les effets des toxines émises par les micro-organismes pathogènes.
Autres effets.
La flore intestinale permet la récupération d’énergie à partir d’éléments non digérés lors de leur dégradation par fermentation. Elle améliore aussi l’accessibilité aux micronutriments. Enfin, elle pourrait jouer un rôle dans l’efficacité de certains médicaments par leur métabolisation, tels que les digitaliques et les anticoagulants coumariniques (antivitamines K).
Au niveau des espèces, les bactéries dominantes du microbiote humain peuvent être réparties en 3 lignées (phyla) bactériennes majeures (Bacteroidetes, Firmicutes et Actinobacteria)
Les perturbations du microbiote intestinal sont impliquées aussi bien dans certaines pathologies intestinales que dans des pathologies extra-intestinales. Parmi ces pathologies, il faut citer les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) du type maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique, l’obésité, le syndrome métabolique, certaines pathologies cardiovasculaires, certaines pathologies allergiques et avec plus de prudence, l’autisme ou les troubles du comportement.
Des données récentes obtenues dans des modèles animaux mais également chez l’homme suggèrent que des modifications qualitatives de la flore caractérisent les individus obèses et suggèrent que le régime alimentaire influe sur la composition du microbiote(4). L’histoire commence en 2006 avec Gordon lorsqu’il montre chez la souris que l’introduction, chez un animal germ free, du microbiote d’un animal obèse entraîne une prise de poids supérieure à celle qui suit le transfert du microbiote d’un animal normal.
Les souris présentant une obésité d’origine génétique (ob/ob) possèdent deux fois moins de Bacteroidetes et une augmentation proportionnelle des Firmicutes que leurs congénères sauvages. Relativement plus riche en firmicutes et moins en bactéroidetes (les deux phylae dominants), le microbiote « obèse » est plus favorable à l’absorption distale des calories. Un même déséquilibre firmicutes/bactéroidetes a été retrouvé chez des sujets obèses, réversible avec la perte de poids. D’où l’idée que les sujets obèses « bénéficieraient » d’une efficacité digestive meilleure.
Mais la situation est plus complexe qu’elle n’y parait comme le prouve une étude récente(5), assez exceptionnelle par sa rigueur. Dans des conditions rigoureusement contrôlées, les auteurs de Phoenix, Arizona, ont soumis 12 sujets normaux et neuf obèses (IMC > 40), successivement et at random, à un apport d’énergie dit « de maintien », puis à 2400 et 3400 Kcal/j, de composition nutritionnelle identique et par séquences de trois jours. Pour chaque période l’énergie contenue dans les fecès a été mesurée en bombe calorimétrique et la composition du microbiote analysée.
Constatations :
- sous régime de maintien, qui commençait la séquence, pas de différence d’abondance relative des deux lignées majeures du microbiote, en dépit des variations interindividuelles attendues, entre normaux et obèses.
- dans l’ensemble une surcharge énergétique (relativement au régime de maintien) entraîne en trois jours une élévation des firmicutes et une baisse des bactéroidetes significativement associée au surplus calorique.
Adaptation donc très rapide au changement de régime, sans grande variation pondérale. - le pourcentage des calories ingérées retrouvé dans les selles est significativement lié aux variations du microbiote : chez les sujets normaux, une augmentation de 20% des Firmicutes et une baisse correspondante des bactéroidetes est associée à une augmentation du stockage d’énergie de ≈ 150 kcal.
Ce travail complexe est basé sur un petit nombre de sujets mais a permis de montrer combien sont complexes et encore mal connues les relations entre l’alimentation (quantitative et vraisemblablement qualitative, non investiguée ici), le microbiote, l’absorption intestinale, le bilan d’énergie et l’obésité.
Peut-on envisager de contrer l’obésité via une approche nutritionnelle ciblant la flore intestinale ?
Il semblerait que ce soit possible (même si nous manquons encore de recul et de données) en apportant certains nutriments dans l’alimentation susceptibles de modifier qualitativement la flore intestinale en ciblant spécifiquement certaines bactéries.
Première approche : les Prébiotiques
Une alimentation riche en glucides non digérés dans la partie haute de l’intestin, mais largement fermentés dans le cæcocôlon, peut diminuer le poids corporel, le développement de la masse adipeuse et la sévérité du diabète dans plusieurs modèles animaux(6,7). Les glucides non digestibles qui semblent efficaces à cet égard sont ceux qui sont largement fermentés par certaines bactéries de la flore colique notamment les bactéries du genre Bifidobacterium spp. qui se développent davantage dans le côlon et changent ainsi sélectivement la composition du microbiote. Les glucides non digestibles qui ont le plus été étudiés à cet égard sont les fructanes* qui sont de par leur influence sur le microbiote classiquement considérés comme « prébiotiques ».
La fermentation des fructanes dans le côlon permet de stimuler la production de certains peptides par les cellules L endocrines de l’intestin, tels que le glucagon-like peptide-1 (GLP-1). Cette hormone aussi appelée incrétine joue un rôle régulateur de l’appétit, mais est également capable de promouvoir la sécrétion d’insuline par le pancréas et d’exercer un effet favorable sur la réponse à l’insuline. L’administration de fructanes dans la diète des animaux (rats, souris) permet en effet d’améliorer des altérations métaboliques induites par un régime hyperlipidique (effet satiétogène, diminution de la masse grasse, diminution de la glycémie. . .) et ces effets sont principalement gérés par l’augmentation de la production de GLP-1(8,9).
Pour ceci il faut apporter des doses conséquentes de fructanes : une étude en simple insu a permis de mettre en évidence que l’administration de prébiotiques (fructanes) à raison de 2×8 g par jour durant deux semaines permettait de diminuer, en comparaison au placebo (maltodextrine), les sensations de faim et l’appétit, avec pour conséquence une réduction de l’apport énergétique(8).
L’administration de prébiotiques durant une période prolongée (un an) est également responsable d’une diminution de l’indice de masse corporelle chez des adolescentes.
Une amélioration de paramètres cliniques marqueurs de la stéatohépatite non alcoolique, une pathologie largement associée à l’obésité, est également observée chez des patients recevant 16 g de prébiotiques par jour(10).
* Le blé, l’artichaut, la chicorée, les bananes, les asperges, les topinambours et les poireaux sont riches en un fructane particulier, appelé l’inuline.
Deuxième approche : Lactobacillus gasseri
Le lait maternel de femme en bonne santé est une source importante de bactéries lactiques el Lactobacillus gasseri fait partie des souches principales présentes dans ce fluide biologique.
Analyse de 82 études sur les effets des probiotiques (source news.doctissimo.fr)
L’équipe du Pr. Didier Raoult, de l’Unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes (CNRS/AMU/Inserm/IRD) s’est livrée à une analyse détaillée des 82 études disponibles sur le sujet « modification de la flore intestinale et poids corporel » : données humaines (17 études cliniques randomisées), données issues de l’agriculture où l’effet attendu est la prise de poids (51 études) et 14 essais sur des animaux de laboratoire (recherche d’un effet anti-obésité pour une utilisation potentielle chez l’homme(11).
Cette analyse montre une association statistique entre prise de probiotiques et variation du poids. Parmi les principaux résultats, la prise de bactéries du type Lactobacillus acidophilus est associée à un gain de poids significatif, tant chez l’homme et chez l’animal. Lactobacillus fermentum et Lactobacillus ingluviei augmentent également le poids, mais uniquement chez les animaux. A l’inverse, Lactobacillus plantarum a été associé à une perte de poids chez les animaux et Lactobacillus gasseri a été associée à une perte de poids à la fois chez les humains obèses et chez les animaux.
Un lien a donc bien été trouvé entre poids et prise de bactéries probiotiques, mais il n’est pas systématique : il dépend du type de bactéries et de l’hôte (humain ou animal). Il faut cependant en tenir compte, comme le soulignent les auteurs dans le communiqué du CNRS : « même s’il existe des biais inéluctables et des conditions expérimentales extrêmement différentes entre les études, l’équipe du Professeur Raoult a montré ici que l’hypothèse d’un lien entre la consommation de probiotiques contenant des Lactobacillus et la régulation du poids était confirmée par l’analyse exhaustive de la littérature ».
Déjà, en 2010, des chercheurs japonais(12) avaient mené une étude dont l’objectif était d’examiner l’impact de ce probiotique sur l’obésité. L’essai clinique multi-centre a été mené en double aveugle, randomisé et contrôlé par placebo, sur 87 sujets ayant un surplus important de graisse abdominale. Après 12 semaines, les sujets traités au L. gasseri avaient perdu en moyenne 4,6 % de graisse abdominale et 3,3 % de graisses sous-cutanées. Leur poids avait diminué de 1,4 % et leur tour de taille de 1,8 %.
Une autre étude confirme ces résultats et a démontré l’efficacité du L. gasseri pour diminuer les niveaux de graisses chez les animaux et l’agrandissement de la taille des adipocytes chez des rats(13). Fait plus important, une étude en janvier 2013(14) a prouvé que l’administration de L. gasseri, d’une part réduisait le poids du corps et celui du tissu adipeux de souris fortement supplémentées en sucrose et d’autre part permettait de déduire les niveaux de glucose chez des souris ayant un « diabète de type 2 ». Les souris recevant pendant 10 semaines une diète enrichie en sucrose et L gasseri ont présenté une baisse de la leptine et de l’insuline dans le sérum. La concentration en leptine est intimement corrélée avec le pourcentage de graisse corporelle et les taux sériques les plus élevés sont toujours retrouvés chez les personnes obèses. Selon cette étude, l’administration de L. gasseri a supprimé l’élévation de la leptine plasmatique, ce qui suggère que la réduction de la masse grasse et du poids est associée à une diminution de la leptine dans le sérum. Des effets similaires avaient déjà été observés dans d’autres études.
Bien sûr il faut raison garder, ne vous attendez pas à fondre du jour au lendemain en prenant uniquement L. gasseri, mais si vous vous prenez en main, tant au niveau sportif qu’au niveau alimentaire, alors Lactobacillus gasseri pourra faire la différence.
Surtout si vous êtes attirés par le sucre…
(1) Qin J, Li R, Raes J, Arumugam M, Burgdorf KS, Manichanh C,et al. A human gut microbial gene catalogue established by metagenomic sequencing. Nature 2010; 464:59—65
(2) The human microbiome project consortium. Structure, functions and diversity of the healthy human microbiome. Nature2012;486:207—14.
(3) Faure S, Pubert C, Rabiller J, Taillez J, Yvain A-L, Que savons nous des probiotiques, Actualités pharmaceutiques 18 ; n° 528, septembre 2013
(4) Delzenne NM, Cani PD, Modulation nutritionnelle de la flore intestinale : une nouvelle approche diététique dans la prise en charge de l’obésité. Cahiers de nutrition et de diététique (2009) 44, 42—46
(5) R. Jumpertz, AJCN, 2011;94:58—65
(6) Cani PD, Daubioul CA, Reusens B, Remacle C, Catillon G, Delzenne NM. Involvement of endogenous glucagon-like peptide-1 (7—36) amide on glycaemia-lowering effect of oligofructose in streptozotocin-treated rats. J Endocrinol 2005;185: 457—65.
(7) Cani PD, Neyrinck AM, Maton N, Delzenne NM. Oligofructose promotes satiety in rats fed a high-fat diet: involvement of glucagon-like peptide-1. Obes Res 2005;13:1000—7.
(8) Cani PD, Joly E, Horsmans Y, Delzenne NM. Oligofructose promotes satiety in healthy human: a pilot study. Eur J Clin Nutr 2006;60:567—72.
(9) Cani PD, Dewever C, Delzenne NM. Inulin-type fructans modulate gastrointestinal peptides involved in appetite regulation (glucagon-like peptide-1 and ghrelin) in rats. Br J Nutr 2004; 92:521—6.
(10) Daubioul C, Horsmanss Y, Lambert P, Danse E, Delzenne N. Effects of oligofructose and lipid metabolism in patients with non alcoholic steatohepatitis: results of a pilot study. Eur J Clin Nutr 2005; 59:723—6.
(11) Raoult D. et coll., Comparative Meta-Analysis of the effect of Lactobacillus species on Weight Gain in Humans and Animals, Microbial Pathogenesis 53 (2012) 100e108.
(12) Kadooka Y1, Sato M, Imaizumi K, Ogawa A, Ikuyama K, Akai Y, Okano M, Kagoshima M, Tsuchida T., Regulation of abdominal adiposity by probiotics (Lactobacillus gasseri SBT2055) in adults with obese tendencies in a randomized controlled trial, Eur J Clin Nutr. 2010 Jun;64(6):636-43. doi: 10.1038/ejcn.2010.19. Epub 2010 Mar 10.
(13) Yukio Kadooka , Akihiro Ogawa , Ken Ikuyamab, Masao Sato., The probiotic Lactobacillus gasseri SBT2055 inhibits enlargementof visceral adipocytes and upregulation of serum soluble adhesion molecule (sICAM-1) in rats, International Dairy Journal 21 (2011) 623e627
(14) Ji-Hee Kang*, Sung-Il Yun, Mi-Hee Park, Jun-Hong Park, So-Young Jeong, Han-Oh Park, Anti-Obesity Effect of Lactobacillus gasseri BNR17 in High-Sucrose Diet-Induced Obese Mice,
PLOS ONE (www.plosone.org) 1 January 2013 | Volume 8 | Issue 1 | e54617